Ce matin, le soleil a bon appétit (07)


Paris, été 1972. Joseph a douze ans. Il habite avec ses parents et ses sept frères et sœurs dans le quartier des Halles, rue Saint-Sauveur. Il va à l’école rue Dussoubs.
Le quartier est un entrelacs de rues sombres, moyenâgeuses, avec des maisons étroites, parfois insalubres, aux cours communicantes, passages secrets pour enfants du bitume qui jouent à cache-cache avec des bignoles acariâtres.

Depuis trois ans, ce n’est plus le ventre de Paris. Les halles sont parties à Rungis. Irène, Coco, Fouque, Suzanne, Gaston et tant d’autres n’ont plus d’histoires à raconter dans le bistrot de Marius. Le grand boucher sanglant, accoudé au bar ne dira plus : « Garçon, pouvez-vous me mettre en rapport avec une bouteille de Beaujolais ? »
Terminée la cacophonie des pavillons Baltard et des rues alentour où se mêlaient les forts, les glaneurs et les glaneuses, les tireurs de diable, les godets de la rue du Jour, les poissardes, les gardeuses, les approvisionneuses et autres tasseurs de légumes.
Les manifestations sont terminées, Doisneau ne viendra plus prendre des photos, voici venu le temps de la démolition.

Cette année, Joseph ne part pas en vacances. C’est chacun son tour dans la famille. L’année précédente, il est allé en colo. Cette année il doit se contenter du centre aéré de Vincennes. Chaque jour de la semaine, un autobus l’emmène au bois avec d’autres enfants du quartier. Il passe la journée à jouer au foot sur un terrain improvisé ou à d’autres jeux proposés par les monos, dans la Redoute du château.




Il aime bien le centre aéré, Joseph, mais si ses copains d’école n’étaient pas partis en vacances, il préférerait la rue pour faire du vélo, ou envoyer des fléchettes sur les passants avec une sarbacane.
Seulement voilà, la plupart des amis sont à la campagne ou ailleurs.
Ils seront plus en forme à la rentrée, dit Joseph, « parce qu’ils respirent un bon air, c’est pas comme ici. Les vacances c’est fait pour se reposer. Vincennes c’est déjà bien mais on peut pas dire que c’est la campagne. Y’a pas la ferme, y’a pas de vaches, y’a pas d’animaux domestiques. »

En attendant — qui sait — un autre été où il pourrait aller dans une ferme, les vacances c’est à Paris.
La semaine, c’est le centre aéré, et le dimanche c’est la ville déserte ou laissée aux touristes. Avec son petit frère Moïse et son copain Jean-Claude, Joseph la transforme en terrain de jeux, de découverte et de petits boulots.
Le matin, ils jouent les glaneurs rue Montorgueil où ils récupérèrent des choux pour les lapins qu’ils revendent à des « clients » du quartier. L’après-midi, ils jouent au ballon autour de la fontaine des Innocents, montent sur les réverbères pour observer, derrière les palissades, le chantier de démolition, ou s’assoient sur un bord de trottoir pour se raconter des histoires.
Parfois, ils prennent le métro jusqu’au jardin du Luxembourg pour regarder les vieux taper le carton, assis à l’ombre des arbres. Avec eux, Joseph apprend à jouer à la belote.

Finalement, le dimanche, « c’est bien, c’est la belle vie qu’on mène ».

[diaporama © Alecio de Andrade, André Kertesz, Édouard Boubat, INA, Robert Doisneau, Denise Colomb, Sabine Weiss, Louis Stettner]

[chanson : Un gamin de Paris, interprétée par Mick Micheyl]

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