Ce matin, le soleil a bon appétit (08)

[© André de Dienes]

Roland Barthes : « L’écrivain en vacances » in Mythologies
Extrait 1/4

Gide lisait du Bossuet en descendant le Congo. Cette posture résume assez bien l'idéal de nos écrivains « en vacances », photographiés par le Figaro : joindre au loisir banal le prestige d'une vocation que rien ne peut arrêter ni dégrader. Voilà donc un bon reportage, bien efficace sociologiquement, et qui nous renseigne sans tricher sur l'idée que notre bourgeoisie se fait de ses écrivains.
Ce qui semble d'abord la surprendre et la ravir, cette bourgeoisie, c'est sa propre largeur de vues à reconnaître que les écrivains sont eux aussi gens à prendre communément des vacances. Les « vacances » sont un fait social récent, dont il serait d'ailleurs intéressant de suivre le développement mythologique. D'abord fait scolaire, elles sont devenues, depuis les congés payés, un fait prolétarien, du moins laborieux. Affirmer que ce fait peut désormais concerner des écrivains, que les spécialistes de l'âme humaine sont eux aussi soumis au statut général du travail contemporain, c'est une manière de convaincre nos lecteurs bourgeois qu'ils marchent bien avec leur temps : on se flatte de reconnaître la nécessité de certains prosaïsmes, on s'assouplit aux réalités « modernes » par les leçons de Siegfried et de Fourastié.
Bien entendu, cette prolétarisation de l'écrivain n'est accordée qu'avec parcimonie, et pour être mieux détruite par la suite. À peine pourvu d'un attribut social (les vacances en sont un fort agréable), l'homme de lettres retourne bien vite dans l'empyrée qu'il partage avec les professionnels de la vocation.


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