Le retour de l'escargot (3/4)

Sur la pente où je me trouvais, qui descendait jusqu’à la rivière, je profitai de ma forme hélicoïdale pour exécuter un magnifique roulé-boulé.

Au centre du champ se dressait un petit chapiteau avec, tout autour, quelques manèges et baraques de foire. Sur une grande pancarte, en lettres rouge et or, était inscrit : Les escargots ailés, compagnie de cirque aérien.

Nom d’un caracol !

J’approchai lentement du chapiteau, espérant profiter d’une représentation au cours de laquelle je pourrais admirer des collègues trapézistes. J’arrivai hélas trop tard. Le spectacle était terminé, et seuls les manèges, les baraques à pommes d’amour, à guimauve et barbe à papa brillaient de tous leurs feux.

Déçu(e), je m’éloignai et repris mon bonhomme de chemin.

Il me fallut plusieurs semaines de marche avant de repérer un long cortège d’étranges camions colorés stationnés le long de la route. Comme j’ai une très mauvaise vue, je compris seulement de quoi il s’agissait lorsque je me trouvai nez à nez avec un visage de CLOWN .

« Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement “de fil en aiguille”.
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.

CLOWN, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert
à tous
ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible… »

(Henri Michaux, « Peintures » (1939), in L’espace du dedans, Pages choisies, Poésie/Gallimard, 1966)

Texte : Joëlle Olivier
Illustration : Jeremias Ritter (vers 1630)

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