Journal (01)

• « Je ne supporte pas que ce que j’ai vu d’émouvant ou de drôle disparaisse. »
(Alain Cavalier in Le Filmeur)

• Premier orage de l’année, le gros arbre près la maison bruisse, brassé de l’intérieur, cahoté, gigoté du dedans, je transpire & me rappelle que l’an dernier, quand J se trouvait au Venezuela et que son absence me désespérait car il était tôt entre nous et que je craignais notre relation menacée par l’écart, le loin avec mon effroi de la savoir par avion à des pieds et des pieds, quantité de pieds, indénombrables, innumérables pieds d’altitude par-dessus des gouffres d’eau (douce et salée, pélagiens tous), des maisons d’hommes ou bien le roc attroupé de la géologie, je me rappelle que depuis les bords de Paris où le lac dans la glace m’éloignait encore un peu des franges de l’équateur, je me souviens de m’être obstinée dans l’idée que si l’avion la ramenait de Caracas, de Merida, de la Isla Margarita je saurais l’été suivant si elle transpirait peu ou beaucoup, si elle suait ou non à profusion, et que je la verrais dormir nue, que je poserais la tête sur son ventre, que la tête sur son ventre nu je m’endormirais la fenêtre large ouverte sur les très petits bruits nocturnes de la rue, puis qu’au matin je dormirais encore dans les premiers pépiements.

• Je lis Brautigan, j’attends J, j’attends le nez dans son parfum — dans une écharpe en froissé jaune qu’elle a portée plus tôt.

• Moi : Je t’ai fait du mal pendant ces vingt et un mois ? J : Non. Tu m’as fait beaucoup de bien. Oui, tu m’as fait des petites douleurs, mais c’étaient tes douleurs à toi, tes colères à toi, tes doutes [...] — parce que tu ne voulais pas te laisser aller à aimer.

• Je suis quand je suis en forme comme un petit festival de petites formes décousues.

• J’ai hâte de l’été où je vous dormirai sur le ventre.

• « Et ce qui est au fond le côté sympathique de la vie, c’est de ne pas savoir ce qui se passe. »
(Marcel Duchamp)

• Je serre dans un vase vos pivoines grosses comme des laitues, entre le rose et l’orangé, dont le bord des pétales proches du cœur — ce dernier plein d’un fourniment fabuleux d’organes sexuels (les étamines en couronne telles que du vermicelle, des vermicules safran & oscillant — mollement —, au moindre souffle comme dans l’eau, avec une cohésion de chevelure, et le cœur du cœur composé quant à lui de façons de très petites figues pâles, de figues pour rire, pâles, pâlichonnes & pansues, frangées de magenta (une pointe de pinceau trempée dans la gouache)) — ne sont pas loin de frisotter.

• Le fruitier grâce à qui quittant l’immeuble je suis, par la rue, cueillie dans une odeur de fraise.

• La nuit tombe à cinq heures & le vent lève, la pluie pleut dru, de minces paquets d’eau comme des gazes passent à la fenêtre, en bas on bâche, le primeurs couvre ses abricots, ses quartiers de pastèque, la tête drue du gros érable grand bronche, affole son pourtour puis c’est la masse en entier qui s’effare, avec les éclairs d’abord se réduisant à peu — on pourrait croire à un défaut de l’œil.

[photo : Danièle Momont]

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