Du pédalo sur la vague en rêvant

Alors que la rentrée se profile, l’Escargot, luxe de lenteur oblige, est presque prêt à partir en vacances.
D’abord, le baluchon : comment faire entrer une malle cabine dans une coquille.
À venir : La bosse des vagues, petites chroniques vacancières.

« Pour qui me prend-on, à la fin ? Il m’arrive de me le demander. On doit penser de moi que je suis une sorte d’endormi qui s’étiole dans les limites du 14e arrondissement ; on se dit probablement que je suis un sédentaire, un personnage falot, pâlot et démodé, un velléitaire même, un banlieusard ou presque, un besogneux au gros bon sens, content de rien, cultivant son jardin avant l’heure, un retraité à demi recouvert d’une fine poussière d’ennui, un homme usé qui attend d’avoir atteint l’âge d’être reçu à l’hospice de vieillards de l’avenue d’Orléans…
Usé je le suis un peu, certes. […] En somme, je suis comme tout le monde. Pourtant, les gens que je rencontre dans les hasards de la vie paraissent souvent étonnés de me voir tel que je suis. C’est assez agaçant. Je les déçois, ce semble. Qui devrais-je être ?
Je ne sais pas ce qu’ils escomptent, après tout. Espèrent-ils trouver un sauvage, un apache ? Faudrait-il que je me grime en « vieux travailleur » ou en « économiquement faible », que je porte un chandail à col roulé, des espadrilles, pour ne pas les désappointer trop ? J’ai l’impression qu’ils aimeraient bien m’entendre leur parler un argot spécial à nos contrées.
De plus, j’ai observé que les interlocuteurs se croient fréquemment obligés d’énumérer devant moi les quelques monuments importants de l’endroit (le Lion de Belfort principalement) et les rares sites plus ou moins pittoresques des alentours. Or, cela me gêne parce que je connais très mal le 14e dont on veut que je sois le chantre. Ainsi, par exemple, j’ignore comment s’appelle la rue qu’il me faut traverser chaque jour en sortant de chez moi, à gauche.
Car, je sors de chez moi… Je vais dans le 6e , dans le 7e ; je vais outre-Seine, dans le 17e ; j’ai déjà, de fois à autre, déserté Paris ; j’ai été en Suisse, pendant trois semaines, j’ai été en Algérie… Et je viens de passer huit jours en Italie…
Oui, je suis décidé à renoncer à cette légende délusoire, à détromper mon monde, définitivement : je ne place pas mon arrondissement au-dessus de tous les autres. J’ajoute, que d’une façon générale, je n’ai pas d’attirance particulière pour les bas quartiers (comme l’on dirait les bas morceaux) ; je suis aussi sensible au faste.
Assez de littérature arrondissementière ! »

(Henri Calet, L’Italie à la paresseuse)



[À bord du Darjeeling Limited, extrait]

Ce matin, le soleil a bon appétit (17)


Roland Barthes : « L’écrivain en vacances » in Mythologies
Extrait 4/4
(les trois premiers extraits ici, ici et )

Sans doute il peut me paraître touchant et même flatteur, à moi simple lecteur, de participer par la confidence à la vie quotidienne d'une race sélectionnée par le génie : je sentirais sans doute délicieusement fraternelle une humanité où je sais par les journaux que tel grand écrivain porte des pyjamas bleus, et que tel jeune romancier a du goût pour « les jolies filles, le reblochon et le miel de lavande ». N'empêche que le solde de l'opération c'est que l'écrivain devient encore un peu plus vedette, quitte un peu davantage cette terre pour un habitat céleste où ses pyjamas et ses fromages ne l'empêchent nullement de reprendre l'usage de sa noble parole démiurgique.
Pourvoir publiquement l'écrivain d'un corps bien charnel, révéler qu'il aime le blanc sec et le bifteck bleu, c'est me rendre encore plus miraculeux, d'essence plus divine, les produits de son art. Bien loin que les détails de sa vie quotidienne me rendent plus proche et plus claire la nature de son inspiration, c'est toute la singularité mythique de sa condition que l'écrivain accuse, par de telles confidences. Car je ne puis que mettre au compte d'une surhumanité l'existence d'êtres assez vastes pour porter des pyjamas bleus dans le temps même où ils se manifestent comme conscience universelle, ou bien encore professer l'amour des reblochons de cette même voix dont ils annoncent leur prochaine Phénoménologie de l'Ego. L'alliance spectaculaire de tant de noblesse et de tant de futilité signifie que l'on croit encore à la contradiction : totalement miraculeuse, chacun de ses termes l'est aussi : elle perdrait évidemment tout son intérêt dans un monde où le travail de l'écrivain serait désacralisé au point de paraître aussi naturel que ses fonctions vestimentaires ou gustatives.



[Yann Tiersen - Comptine d’un autre été, l’après-midi]

Ce matin, le soleil a bon appétit (16)

[© DR – Tant qu’il y aura des hommes]

Roland Barthes : « L’écrivain en vacances » in Mythologies
Extrait 3/4
(les deux premiers extraits ici et )

Celui-ci concède sans doute qu'il est pourvu d'une existence humaine, d'une vieille maison de campagne, d'une famille, d'un short, d'une petite fille, etc., mais contrairement aux autres travailleurs qui changent d'essence, et ne sont plus sur la plage que des estivants, l'écrivain, lui, garde partout sa nature d'écrivain ; pourvu de vacances, il affiche le signe de son humanité ; mais le dieu reste, on est écrivain comme Louis XIV était roi, même sur la chaise percée. Ainsi la fonction de l'homme de lettres est un peu aux travaux humains ce que l'ambroisie est au pain : une substance miraculeuse, éternelle, qui condescend à la forme sociale pour se faire mieux saisir dans sa prestigieuse différence. Tout cela introduit à la même idée d'un écrivain surhomme, d'une sorte d'être différentiel que la société met en vitrine pour mieux jouer de la singularité factice qu'elle lui concède.
L'image bonhomme de « l'écrivain en vacances » n'est donc rien d'autre que l'une de ces mystifications retorses que la bonne société opère pour mieux asservir ses écrivains : rien n'expose mieux la singularité d'une « vocation » que d'être contredite — mais non niée bien loin de là — par le prosaïsme de son incarnation : c'est une vieille ficelle de toutes les hagiographies. Aussi voit-on ce mythe des « vacances littéraires » s'étendre fort loin, bien au-delà de l'été : les techniques du journalisme contemporain s'emploient de plus en plus à donner de l'écrivain un spectacle prosaïque. Mais on aurait bien tort de prendre cela pour un effort de démystification. C'est tout le contraire.
Le second avantage de cette logorrhée, c'est que par son caractère impératif, elle passe tout naturellement pour l'essence même de l'écrivain.



[Barbara - Paris 15 août]

Ce matin, le soleil a bon appétit (15)

[© Robert Capa]

Roland Barthes : « L’écrivain en vacances » in Mythologies
Extrait 2/4
(extrait n°1 ici)

Et le « naturel » dans lequel on éternise nos romanciers est en fait institué pour traduire une contradiction sublime : celle d'une condition prosaïque, produite, hélas, par une époque bien matérialiste, et du statut prestigieux que la société bourgeoise concède libéralement à ses hommes de l'esprit (pourvu qu'ils lui soient inoffensifs).
Ce qui prouve la merveilleuse singularité de l'écrivain, c'est que pendant ces fameuses vacances, qu'il partage fraternellement avec les ouvriers et les calicots, il ne cesse, lui, sinon de travailler, du moins de produire. Faux travailleur, c'est aussi un faux vacancier. L'un écrit ses souvenirs, un autre corrige des épreuves, le troisième prépare son prochain livre. Et celui qui ne fait rien l'avoue comme une conduite vraiment paradoxale, un exploit d'avant-garde, que seul un esprit fort peut se permettre d'afficher. On connaît à cette dernière forfanterie qu'il est très « naturel » que l'écrivain écrive toujours, en toutes situations. D'abord cela assimile la production littéraire à une sorte de sécrétion involontaire, donc tabou, puisqu'elle échappe aux déterminismes humains : pour parler plus noblement, l'écrivain est la proie d'un dieu intérieur qui parle en tous moments, sans se soucier, le tyran, des vacances de son médium. Les écrivains sont en vacances, mais leur Muse veille, et accouche sans désemparer.
Le second avantage de cette logorrhée, c'est que par son caractère impératif, elle passe tout naturellement pour l'essence même de l'écrivain.



[Booker T. and the M.G.’s - Summertime, live, 1991]

Ce matin, le soleil a bon appétit (14)

16 août 1977 : la mort d’Elvis Presley.
16 août 2013 : Elvis (n’)est (pas) mort.
La preuve ci-dessous, par l’image, le son et le texte (extraits de Fonction Elvis, Laure Limongi, éditions Léo Scheer, 2006) :


[Hound Dog - 1956]

« Pour les onze ans d’Elvis, la bicyclette prévue est remplacée par une guitare. On ne tombe pas d’une guitare. En réponse, il déclare à sa mère vouloir lui acheter une Cadillac rose bonbon, quand il sera grand, et une maison pas en bois mais en “vrai dur”. Et il chantera bien mieux que le rossignol dans sa cage dorée. Elvis veut le risque et le trop. Sans le savoir, encore. Creuset de désirs dans un corps contraint. Juste un regard derrière une vitre. Dans une cage misérable. »


[That’s Alright Mama - 1968]

« À treize ans, arrivée à Memphis. Les Aventures de Captain Marvel Junior occupent Elvis davantage que l’école. C’est un super-héros. Jours ordinaires, nuits fantastiques, ambivalent, comme tous les super-héros. Elvis est un gentil garçon. La rencontre onirique aux couleurs des comics monopolise son imagination, peuple ses journées de fantasmes brillants. BING, BAM, VROUM, SCRATCH ! Tourne la page pour découvrir. »


[Trouble, extrait du film King Creole - 1958 (réal. Michael Curtiz)]

« Elvis pousse la porte de chez Sun, un studio d’enregistrement, “pour offrir un disque à sa mère”. C’est son anniversaire, dit-il. Mais ce n’est pas son anniversaire. Elvis entre chez Sun enregistrer un disque pour quelques dollars. Discrètement. La secrétaire remarque ses longs cils, sa courtoisie. Elle note. Il dit “Madame”, il dit “Monsieur”, referme la porte doucement. Il faudrait un Blanc capable de chanter comme un Noir — pense Sam Phillips. Il cherche. Ce serait le jackpot — ajoute Sam Phillips, mâchonnant son cigare. »


[Blue Suede Shoes]

« Elvis apparaît. Monte sur scène. C’est un électrochoc. Elvis est un cyclone, Elvis est un harcèlement. Un incendie. Blanc avec une voix de Noir. Une chimère, un scandale. Il maîtrise les émotions, les éléments. Le feu marche avec lui. Eddie Bond, vedette locale ulcérée par ce genre inédit, dangereux, lui dit qu’il ferait mieux de se consacrer à la conduite de son camion. Toute une époque de chanteurs gominés est rendue obsolète, ternie en un seul instant. La cruauté de la gloire. Acclamés un jour, compassés le lendemain. Du sublime au ridicule. Choc générationnel. Et puis le look de ce garçon. Silhouette immédiatement reconnaissable, étincelante, coiffure démente. Plastique comme un bloc de vinyle fondu. Déchaînée ensuite, tressautant au rythme des soubresauts d’Elvis. Une houle incandescente. »


[One Night]

« Elvis incarne l’avènement de l’adolescence. De son accès au sexe et à la démesure. Socquettes blanches et cheveux lâchés. Les filles crient, hurlent. “Le même bruit que cinquante jets qui décollent en même temps.” Hound Dog. Joue-t-il de la guitare ou lui fait-il l’amour ? “Une explosion atomique d’émotion juvénile.” Meute exaltée, enragée. Elvis crée un âge entre l’enfance et le monde des adultes. Un âge révolté, rauque, survolté, sensuel. “En quelques secondes, le plus gentil garçon du monde se transformait en fauve furieux, déhanché. C’était Jekyll et Hyde.” »


[Love Me Tender]

Ce matin, le soleil a bon appétit (13)


16 août 1977 : la mort d’Elvis Presley
À J-1, l’Escargot continue encore et encore d’évoquer pour vous les influences musicales qui ont fait le King.

[Little Junior Parker - Mystery Train]

[le texte est extrait de Louons maintenant les grands hommes, James Agee (trad. Jean Queval)]

… et dans une grande mesure s’interrogeant, seul et non soutenu, dans le milieu de son espace, puis arrêté ; et reprise maintenant, il sombre dans la poitrine de la basse, tête inclinée ; les deux en sourdine, bourdonnement léger ; le baryton donne son commentaire, irrésolu, il s’agit d’une question, tout entière sur une même note : et ils se taisent, et ne nous regardent pas, ni nous ni rien.
Le propriétaire se récria contre tous ces hurlements, et toute cette religion à n’en plus finir, si on avait maintenant quelque chose d’un peu plus vivant, ils savaient ce qu’il entendait par-là, après ils pourraient s’en aller.



[Little Richard - Tutti Frutti]

Ils savaient ce qu’il entendait par-là, mais pour eux c’était très dur de s’y mettre juste à ce moment-là. Ils raidirent leurs corps et hésitèrent pendant plusieurs secondes, se consultant du regard, tourmentés ; puis la basse eut une inclinaison de tête, abrupte comme un coup, et le regard vide ils attaquèrent un air rapide à gaudrioles, avec des métaphores sexuelles presque intraduisibles. Une chanson à refrain qui tournait à la façon d’une roue, avec des couplets à inventer pour faire avancer l’histoire. Ils chantèrent trois refrains, sur trois douzaines peut-être qu’ils connaissaient, et ça y fut, tout net ils coupèrent court, et pour la première fois rompirent leur ligne de formation, comme s’ils avaient su qu’après ça ils avaient acquis le droit de se retirer.

[Arthur “Big Boy” Crudup - That’s All Right Mama]

Pendant ce temps, et pendant toute la durée du chant, j’étais écœuré de savoir qu’ils se croyaient là à notre requête, la mienne et celle de Walker, et que je ne pouvais pas communiquer avec eux d’autre façon ; et maintenant, par une perversion du supplice que je m’infligeais, je jouai mon rôle jusqu’au bout. Je remis à leur chef cinquante cents, du regard essayant de faire comprendre beaucoup plus, et je dis que je regrettais de les avoir retenus, que j’espérais qu’ils ne seraient pas en retard ; et il me remercia de leur part d’une voix morte, sans chercher mon regard, et ils partirent, en revêtant leurs chapeaux blancs dans la lumière du soleil.




[Fats Domino - Blueberry Hill]

Ce matin, le soleil a bon appétit (12)


16 août 1977 : la mort d’Elvis Presley
À J-2, l’Escargot continue d’évoquer pour vous les influences musicales qui ont fait le King.

[Roy Brown - Good Rockin’ Tonight]

[le texte est extrait de Louons maintenant les grands hommes, James Agee (trad. Jean Queval)]

L’aigu rauque du jeune ténor, le baryton strident qui atteignait le plus haut point du registre, la gorge dure comme le poing, et la basse, roulant eût-on dit des roues de fer, la main crispée puis relâchée accompagnant l’effet des ellipses, la tension et la détente qui vient après. Et abruptement ce fut le silence, et vierge d’expression, absolu. Le propriétaire, froidement, souriait. Il n’y avait rien à dire. Je les regardai dans les yeux, avec un respect total et franc, et dis, c’était mieux que bien. Avez-vous le temps de chanter encore une fois pour nous ?



[Lowell Fulson - Reconsider Baby]

Ils échangèrent des regards rapides, comme si mentalement ils avançaient vers un point commun, marquaient une pause et se recomposaient en eux-mêmes, et ils chantèrent encore, cette fois une complainte, plus lente. J’eus le sentiment, à leur silence préalable, que c’était leur chant favori, leur cause de fierté propre. La voix du ténor s’éleva seule au long d’une ligne musicale solitaire suspendue comme le feu du ciel, ou un écho de sifflet, la note va sombrer, elle sombre, dans des modes de decrescendo que je n’avais pas encore entendus, elle sombra dans les bras et la poitrine de la basse, comme d’une croix s’affaisserait un corps et du baryton s’éleva une longue ligne noire, de commentaire…

[Smiley Lewis - One Night of Sin]

… et ce fut une longue mélopée au ralenti, comme des circonvolutions, quelque chose, mais quoi, roulant par les grandes profondeurs d’une mer orageuse, la voix rencontrant la voix comme dans un rêve un bateau un bateau, se retirant, la rencontrant encore, un tissage, insistant, avec des digressions dans les temps et des retours sur soi, pas un air du tout, la même déclivité, le baryton prenant le dessus, sorte de métacentre, murmurant entre majeur et mineur, au long d’un ton unique, en aucune clé qu’on pût dire, la reprise du ténor montant, comme un cor, un haut fil dur, le vol de l’oiseau, à pleine déclamation presque, puis échouant, silence ; mais une autre reprise, une amplification, les autres le soutenant, mais seul encore, seul…



[Rufus Thomas - Walking the Dog]

Ce matin, le soleil a bon appétit (11)


16 août 1977 : la mort d’Elvis Presley
À J-3, l’Escargot évoque pour vous les influences musicales qui ont fait le King.

[W.C. Handy - Memphis Blues]

[le texte est extrait de Louons maintenant les grands hommes, James Agee (trad. Jean Queval)]

C’était des hommes jeunes, vingt et trente ans, pas plus, néanmoins très vieux et assagis, avec ce teint de suie que nulle lumière ne peut rehausser, et allant avec ce teint des dents bleues et le globe jaune des yeux. Ils portaient des pantalons pressés, des chaussures lavées, des chemises blanches brillantes d’avoir été empesées, des cravates claires, et ils tenaient à la main leurs chapeaux de paille blanchis, et à la hauteur du cœur étaient épinglés les rubans mauves et dorés d’une société d’obsèques religieuses.




[Big Mama Thornton - Hound Dog]

Ils avaient été convoqués afin de chanter pour Walker et pour moi, histoire de nous faire entendre de la musique nègre (pourtant nous avions fait tout ce qui était en notre pouvoir pour leur épargner et nous épargner les effets de cette convocation), et ils restaient là patients, comme pris dans une frise, tout raidis, dans l’ombre de la chênaie, leurs chapeaux et leurs chemises les abritant de la lumière, attendant qu’on leur porte intérêt et qu’on les délivre, car au moment où l’enfant les avait rattrapés ils se rendaient à l’église ; et maintenant qu’on les regardait et qu’avait été donné l’ordre, ils firent quelques pas en avant, sans sourire, et s’arrêtèrent, formant une ligne rigide, et, après un échange de coups d’œil gênés, l’aîné marquant le rythme du pied sur le sol, ils chantèrent.

[The Prisonaires - Just Walkin’ in the Rain]

Comme je m’y étais attendu, c’était, non dans le style euphonique et moelleux du quatuor Fisk, mais dans le style des Mitchell’s Christian Singers : saccadé et torturé, rocailleux et dur, comme accentué au marteau et au burin, entièrement empreint d’une vitalité rythmique itérative, paralysante presque, avec des harmonies à rompre les nerfs. Ainsi, dans la musique occidentale, ce sont les deux premiers siècles de polyphonie qui se rapprocheraient peut-être de cette austérité ; mais ici, il s’agissait entièrement d’instinct. Les cassures du chant étaient comme une danse de plantes à l’accéléré, les chanteurs vivaient comme profondément enfoncés dans la terre, leurs yeux n’étaient fermés ni ne regardaient qui ou quoi que ce fût.



[Chuck Berry - Maybellene]

Ce matin, le soleil a bon appétit (10)

[© Claude Pélieu, collages et pastels]

L’Escargot du 12 août organise une rencontre (improbable ?) entre Pizarnik et Pélieu :


Alejandra Pizarnik, Journaux 1959-1971 (trad. Anne Picard) :

12 août 1962

« Petit matin. Sommeil impossible. Fumé et toussé. Boire un café si noir que je tremble en le buvant et que mes nerfs crissent. Tu m’énerves, tu m’obsèdes, tu m’envoies des messagers furieux dans cette course d’ombre à laquelle tu m’obliges. Je hais ces chiffres mobiles, ces chiffres absurdes du réveil qui semblent s’arrêter indéfiniment dans une course dépourvue de sens. J’aime la quiétude, la douce progression de la lumière, la décision de la lumière, cette tranquillité qui dure longtemps ; j’aime la persistance du soleil qui se prolonge comme un alcool magnifique, bu avec une immense lenteur. Et j’aime surtout la nuit qui s’ouvre comme si elle rêvait et reste suffisamment pour que je puisse dire : il fait nuit, ainsi soit-il, et que cela se répète encore et encore, sans démenti. »


Claude Pélieu, Un amour de beatnik :

Pacific Coast, August 1964 — Sunday

« ————— ooooooOOOOOOOOOOOOHHHH
waaaaaAAAAAAAAAAAAMMM
buuuuuUUUUUUUUUUUUHHHH — quoi ? what ?
Se retrouver ? Oui, pourquoi pas ? un jour ? mais plus tard ? beaucoup plus tard… à moins qu’un ne cane en route… shit ! fuck up !... voilà exactement ce que je ne veux pas te dire… je ne vis pas bien, je ne dors pas bien, je ne baise pas bien, MARRE ! je ne bois pas bien et pourtant parfois beaucoup quand les crabes me bouffent, et le singe et quand le jerrican céleste est vide et la seringue électronique mais merde JE N’AIME PAS TRÈS BIEN !!!...... et puis, je m’en fous… quand l’âme s’est échappée, pfffftttt !......
Pardonne-moi ces spasmodies irritantes, mais MAIS oooOOOHH tout m’emmerde mais je me tiens vertical… contradiction Ouais mais c’est mon affaire… c’est maintenant, depuis deux ans, pour la première et dernière fois, MON AFFAIRE… un beau mot ça et puis rien — *********** sûrement plein tes yeux… voilà femmeluche…. Toi ********** ! »

Ce matin, le soleil a bon appétit (09)

[cliquez pour agrandir le collage]


L'Escargot a sorti son astrographe pour la Nuit des étoiles...

« … Loin de moi, une étoile filante choit dans la bouteille nocturne du poète. Il met vivement le bouchon et dès lors il guette l'étoile enclose dans le verre, il guette les constellations qui naissent sur les parois, loin de moi, tu es loin de moi.
Si tu savais. »

Si tu savais, Robert Desnos (extrait)



[Stella by Starlight, version Miles Davis]

« À qui donc le grand ciel sombre
Jette-t-il ses astres d'or ?
Pluie éclatante de l'ombre,
Ils tombent...? — Encor ! encor !

Encor ! — lueurs éloignées,
Feux purs, pâles orients,
Ils scintillent... — ô poignées
De diamant effrayants !

C'est de la splendeur qui rôde,
Ce sont des points univers,
La foudre dans l'émeraude !
Des bleuets dans des éclairs !

Réalités et chimères
Traversant nos soirs d'été !
Escarboucles éphémères
De l'obscure éternité ! »

Les étoiles filantes, Victor Hugo (extrait)



[extrait Star Wars]

« Je passe la plus grande partie de la nuit sur le pont
Les étoiles familières de nos latitudes penchent penchent sur le ciel
L'étoile Polaire descend de plus en plus sur l'horizon nord
Orion — ma constellation — est au zénith
La Voie Lactée comme une fente lumineuse s'élargit chaque nuit
Le Chariot est une petite brume
Le sud est de plus en plus noir devant nous
Et j'attends avec impatience l'apparition de la Croix du Sud à l'est
Pour me faire patienter Vénus a doublé de grandeur et quintuplé d'éclat comme la lune elle fait une traînée sur la mer
Cette nuit j'ai vu tomber un bolide »

Nuits étoilées, Blaise Cendrars



[C'est la nuit, Michel Jonasz]

Ce matin, le soleil a bon appétit (08)

[© André de Dienes]

Roland Barthes : « L’écrivain en vacances » in Mythologies
Extrait 1/4

Gide lisait du Bossuet en descendant le Congo. Cette posture résume assez bien l'idéal de nos écrivains « en vacances », photographiés par le Figaro : joindre au loisir banal le prestige d'une vocation que rien ne peut arrêter ni dégrader. Voilà donc un bon reportage, bien efficace sociologiquement, et qui nous renseigne sans tricher sur l'idée que notre bourgeoisie se fait de ses écrivains.
Ce qui semble d'abord la surprendre et la ravir, cette bourgeoisie, c'est sa propre largeur de vues à reconnaître que les écrivains sont eux aussi gens à prendre communément des vacances. Les « vacances » sont un fait social récent, dont il serait d'ailleurs intéressant de suivre le développement mythologique. D'abord fait scolaire, elles sont devenues, depuis les congés payés, un fait prolétarien, du moins laborieux. Affirmer que ce fait peut désormais concerner des écrivains, que les spécialistes de l'âme humaine sont eux aussi soumis au statut général du travail contemporain, c'est une manière de convaincre nos lecteurs bourgeois qu'ils marchent bien avec leur temps : on se flatte de reconnaître la nécessité de certains prosaïsmes, on s'assouplit aux réalités « modernes » par les leçons de Siegfried et de Fourastié.
Bien entendu, cette prolétarisation de l'écrivain n'est accordée qu'avec parcimonie, et pour être mieux détruite par la suite. À peine pourvu d'un attribut social (les vacances en sont un fort agréable), l'homme de lettres retourne bien vite dans l'empyrée qu'il partage avec les professionnels de la vocation.


Ce matin, le soleil a bon appétit (07)


Paris, été 1972. Joseph a douze ans. Il habite avec ses parents et ses sept frères et sœurs dans le quartier des Halles, rue Saint-Sauveur. Il va à l’école rue Dussoubs.
Le quartier est un entrelacs de rues sombres, moyenâgeuses, avec des maisons étroites, parfois insalubres, aux cours communicantes, passages secrets pour enfants du bitume qui jouent à cache-cache avec des bignoles acariâtres.

Depuis trois ans, ce n’est plus le ventre de Paris. Les halles sont parties à Rungis. Irène, Coco, Fouque, Suzanne, Gaston et tant d’autres n’ont plus d’histoires à raconter dans le bistrot de Marius. Le grand boucher sanglant, accoudé au bar ne dira plus : « Garçon, pouvez-vous me mettre en rapport avec une bouteille de Beaujolais ? »
Terminée la cacophonie des pavillons Baltard et des rues alentour où se mêlaient les forts, les glaneurs et les glaneuses, les tireurs de diable, les godets de la rue du Jour, les poissardes, les gardeuses, les approvisionneuses et autres tasseurs de légumes.
Les manifestations sont terminées, Doisneau ne viendra plus prendre des photos, voici venu le temps de la démolition.

Cette année, Joseph ne part pas en vacances. C’est chacun son tour dans la famille. L’année précédente, il est allé en colo. Cette année il doit se contenter du centre aéré de Vincennes. Chaque jour de la semaine, un autobus l’emmène au bois avec d’autres enfants du quartier. Il passe la journée à jouer au foot sur un terrain improvisé ou à d’autres jeux proposés par les monos, dans la Redoute du château.




Il aime bien le centre aéré, Joseph, mais si ses copains d’école n’étaient pas partis en vacances, il préférerait la rue pour faire du vélo, ou envoyer des fléchettes sur les passants avec une sarbacane.
Seulement voilà, la plupart des amis sont à la campagne ou ailleurs.
Ils seront plus en forme à la rentrée, dit Joseph, « parce qu’ils respirent un bon air, c’est pas comme ici. Les vacances c’est fait pour se reposer. Vincennes c’est déjà bien mais on peut pas dire que c’est la campagne. Y’a pas la ferme, y’a pas de vaches, y’a pas d’animaux domestiques. »

En attendant — qui sait — un autre été où il pourrait aller dans une ferme, les vacances c’est à Paris.
La semaine, c’est le centre aéré, et le dimanche c’est la ville déserte ou laissée aux touristes. Avec son petit frère Moïse et son copain Jean-Claude, Joseph la transforme en terrain de jeux, de découverte et de petits boulots.
Le matin, ils jouent les glaneurs rue Montorgueil où ils récupérèrent des choux pour les lapins qu’ils revendent à des « clients » du quartier. L’après-midi, ils jouent au ballon autour de la fontaine des Innocents, montent sur les réverbères pour observer, derrière les palissades, le chantier de démolition, ou s’assoient sur un bord de trottoir pour se raconter des histoires.
Parfois, ils prennent le métro jusqu’au jardin du Luxembourg pour regarder les vieux taper le carton, assis à l’ombre des arbres. Avec eux, Joseph apprend à jouer à la belote.

Finalement, le dimanche, « c’est bien, c’est la belle vie qu’on mène ».

[diaporama © Alecio de Andrade, André Kertesz, Édouard Boubat, INA, Robert Doisneau, Denise Colomb, Sabine Weiss, Louis Stettner]

[chanson : Un gamin de Paris, interprétée par Mick Micheyl]

Ce matin, le soleil a bon appétit (06)

[© Vanessa Bell - Studland Beach]


Il fait un temps superbe dans Les vagues de Virginia Woolf (trad. Cécile Wajsbrot), au son d’une playlist de dix titres : cinq nouvelles versions de Summertime [nous dédions celle de Jeanne Lee à Lucien Suel] et cinq morceaux spécial été itou :

— Une chenille s’est enroulée, un anneau vert, dit Susan, crénelé de pattes émoussées.
— L’escargot à coquille grise traverse le chemin, couche les brins d’herbe sur son passage, dit Rhoda.
— Et la lumière des flammes luit par la vitre comme un éclair sur le gazon, dit Louis.

Le soleil du soir dont la chaleur était partie après avoir répandu son intensité brûlante donnait un velouté aux chaises, aux tables, les incrustait de losanges bruns et jaunes. Soulignée d’ombre, leur masse semblait alourdie, comme si la couleur s’était inclinée, concentrée d’un côté. Il y avait le couteau, la fourchette et le verre, mais étirés, bombés, solennels. Bordé d’un cercle d’or, le miroir figeait la scène dans son œil comme si elle allait durer à jamais.
Et les ombres s’étiraient sur la plage ; l’obscurité épaississait. La botte noire comme un fer devenait une flaque bleu foncé. Les rochers perdaient leur dureté. L’eau qui entourait le vieux bateau avait foncé comme si des moules y trempaient. L’écume devenue livide donnait parfois au sable flou l’éclat blanc d’une perle.

Ce matin, le soleil a bon appétit (05)

[© Édouard Levé]


Édouard Levé et l’été (extraits d’Autoportrait, P.O.L., 2005)

• Le son lointain d’une tondeuse à gazon en été me rappelle de bons souvenirs d’enfance.

• Un été sec et chaud, ma mère m’a lu tous les soirs après le dîner un extrait du livre Les Survivants, où il était question d’un avion écrasé dans la Cordillère des Andes, les rescapés mangeaient le corps des autres pour survivre, j’avais onze ans, je ne sais pas pourquoi ma mère m’a lu cette histoire.

• J’aime la pluie d’été.

• L’orage m’exalte comme un ennemi.

• Le manque de sommeil me gêne moins lorsqu’il fait beau que lorsqu’il pleut.

• Je ne lis pas sur la plage. Sur la plage, je commence par m’ennuyer, puis je m’habitue, et je n’arrive plus à partir. Sur la plage, les filles suscitent moins mon désir que dans une bibliothèque.

• J’ai croisé au mois de juillet à Paris un homme dont le visage ressemblait à celui d’Elephant Man, j’étais à vélo, je roulais vite, j’ai cru avoir une hallucination, j’ai fait demi-tour pour le rattraper, je ne m’étais pas trompé, mais quand je vois quelque chose d’exceptionnel, je crois pendant les premiers instants qu’il s’agit d’une illusion.

• Je roule à moto vêtu d’un épais blouson en cuir noir Vanson, même en été.

• Le coton à la surface de la pêche crisse contre mes dents.

• En été, mes taches de rousseur prolifèrent, se superposent et donnent l’illusion que je suis bronzé.

• J’ai passé quelques jours inactifs sur une plage en Thaïlande, au soleil, au bord d’une plage de sable blanc, l’eau était turquoise, je dormais dans une cabane en paille, je mangeais des poissons au soleil, je ne faisais rien, je profitais simplement d’une extase béate.

• Les coups de soleil me donnent chaud en surface, et froid à l’intérieur.

• En Espagne il y a vingt ans, j’ai été invité par un ami d’ami avec qui je voyageais à passer une soirée chez un homme de soixante-dix ans d’origine allemande, la conversation était familière et spirituelle, j’étais en bonne disposition, c’était l’été, j’étais en vacances, nous buvions du bon vin, des plats épicés étaient servis sur une terrasse avec vue sur la mer, la conversation a pris une tournure inattendue quand cet homme se mit à tenir des propos de plus en plus réactionnaires sur un ton délicieux, il souriait en me regardant dans les yeux pour chercher mon approbation, les socialo-communistes, les cheveux longs, les juifs, les chômeurs, les homosexuels, tout y est passé, il voulait me prendre en otage avec son hospitalité, je fus plus pervers que lui, je souriais pour qu’il se dévoile, ce qu’il fit plus que de raison, en sortant de table, il me fit visiter la chambre de son fils, au mur était punaisé un drapeau nazi, il a désigné avec admiration certains livres sur les étagères, dont Mein Kampf, j’ai été rétrospectivement stupéfait que l’ami d’ami, qui savait à qui il avait affaire, un ancien SS, ait accepté cette invitation.

• Un même été, j’ai attrapé six tiques, ce n’est que quatre ans plus tard que j’ai été persuadé d’être atteint de la maladie de Lyme, après avoir lu sur un site Web la liste des symptômes.

• Au milieu de l’été, un jour de pluie me réjouit comme un jour de soleil au milieu de l’hiver.

• Lorsque je m’allonge dans un endroit public, parc ou plage, je m’étends de tout mon long, bras en croix, jambes légèrement écartées, j’ai l’air d’un mort ou d’un christ tombé du ciel, il arrive qu’une personne vienne me trouver pour me demander si tout va bien.

• Je ne compte pas le nombre de cerises que je mange.

Ce matin, le soleil a bon appétit (04)

Stanley Kubrick, Peter Sellers et Shelley Winters sur le tournage de Lolita [© Joe Pearce]


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Il y a quarante-quatre ans tout rond, le 05 août 1969, Jean-Patrick Manchette écrit dans son Journal :

« … Aujourd’hui nous sommes allés voir 2001 : L’ODYSSÉE DE L’ESPACE de Kubrick, au cinéma du casino au Tréport. Public calme, prix modérés, une heureuse ambiance. Le film lui-même est un très beau spectacle. Laudativement et péjorativement parlant. On ne s’ennuie pas une seconde pendant les près de trois heures de projection. Cependant, après la projection, il ne reste pas grand-chose du film dans l’esprit du spectateur, à part des beautés formelles, et une énigme que Kubrick et Arthur C. Clarke — co-scénariste — ont mis là-dedans en tant que telle. Il y aurait beaucoup à dire sur ce film, mais la première chose à en dire est que c’est une série B roublarde avec un très gros budget, filmée par un bonhomme assez intelligent pour avoir envie d’aller trop loin, mais aussi pour savoir jusqu’où on peut n’aller pas assez loin, et qui se console parfois de l’ensemble en filmant des formes et des couleurs pures, sans contenu.
Le plus kubrickien de la chose est sûrement le prologue des pithécanthropes. Ensuite, spectacle de la technique, puis paradoxes débiles, mais grands fastes formels.
Un vrai gâteau à la crème, en tout cas.
Pour en revenir à nos journées, le meilleur moment est le soir après le dîner, car nous savons que nous n’aurons plus d’emmerdements avant le lendemain. Nous lisons, fumons et nous faisons des bises. Nous nous aimons. La vie est belle.
Avec tous mes emmerdements, je suis bien heureux. »

Ce matin, le soleil a bon appétit (03)


La vieille fille (la rencontre)



« Ses mains sont de l’albâtre le plus finement
Veiné, ses doigts effilés. MOI : dites, leur blancheur
C’est le jus de citron le soir ou le roi des onguents
Dès l’aube ? ELLE : liquid shine spécifique sans odeur.

MOI : et le boléro plumeux romantique
À ras le rebondi ? ELLE (oblique
Moue dans la contre-plongée) : calçon
De style sexy oui mais trop pétasse non.

MOI : et c’est la racine douce candi rousse
Qu’on voit au dsous dbras déterger les pousses
Sudoriparfumieuses, non ? ELLE : fraîcheur
Garante antibio — et gare pif le lécheur !

MOI : mais ce bouffant oxygéné dans la choucroute
Qui évite l’aspect carton ? ELLE : c’est l’affect
Brume insoupçonnable avec pigma protect :
Pas touche ! MOI : ravale, Odysseus, ta goutte !

ELLE : pigmente un peu, mec ! Ré-active de la
Fibre archinutritive ! MOI (à moi) : merde, toi,
Dans les reflets verdâtres de l’abandon
Aux penchants moches de dégénération ! »

(Christian Prigent, La météo des plages)


La vieille fille (la baignade)




« Hip hip hip la broche hippocampe accroche
Aux hampes d’herbus all over Pollock si ça
Cloche dans ces gris d’entre deux verts moches
C’est le trop d’épinard bouilli au cul du rata.

La méduse c’est un bonnet de bain un arc
À bretelles vibratiles de quasi que flotte.
On s’allègerait bien pareil la culotte
Du soma dans la compote des quarks.

Prudence aux marches, petits pas ! Car ce nez
D’os livide de seiche que ton talon plastifié
Broierait, c’est Thétis peut-être — et crains le jus
Pour la venger de la Vive, ou Sour, le pus

En crachat lascif, pers & mauve, ou son sel
Très-Putride, à l’anémone. Dans l’abîme glacé
Du monde gît l’immonde : tremble quand de tes pieds
Émincés en plongée tu ne vois plus qu’un bleu mortel. »

(Christian Prigent, La météo des plages)

Ce matin, le soleil a bon appétit (02)

Nicolas de Staël, Paysage méditerranéen, 1954


« La lumière est tout simplement fulgurante ici, bien plus que je m'en souvenais. Je vous ferai des choses de mer, de plage, en menant l'éclat jusqu'au bout, et des choses d'ombres nocturnes. »
(Lettre de Nicolas de Staël à Jacques Dubourg, 31 mai 1952)


« On ne peint jamais ce qu'on croit voir, on peint à mille vibrations [...]. Palette — c'est le timbre, le son, la voix »... et pour l'Escargot ces cinq versions de Summertime :

Ce matin, le soleil a bon appétit (01)

« À quatre heures du matin, l'été,
Le sommeil d'amour dure encore.
Sous les bosquets l'aube évapore
L'odeur du soir fêté. »
(Rimbaud)

Pendant qu'Arthur rimaille, monsieur Hulot bataille :